Les entreprises toujours accros aux mails
- Christophe COUPEZ
- 30 avr.
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 7 mai
Dernièrement, j'ai publié un article sur les notifications mails "forcées" et automatiques des outils de Microsoft 365, en expliquant pourquoi ces notifications nuisaient à l'adoption de Microsoft 365. J'en profitais aussi pour donner quelques pistes (cliquer) pour s'en débarrasser, collectivement ou individuellement.
Le post LinkedIn associé à l’article a généré plus de 3900 vues et pas mal de commentaires. Parmi ces retours, un internaute s'étonnait sur le fait qu'on continue encore et toujours, en 2025, à débattre de ce sujet. Et il a parfaitement raison, puisque ça fait plus de 15 ans que je parle de ce sujet et que c'est loin très d'être terminé. Alors pourquoi, quinze ans après les premiers Réseaux Sociaux d'Entreprise, neuf ans après l’apparition de Teams parle-t-on encore de ça ?

Dans la vie privée, qui s'envoie encore des mails ??
J'ai fait un sondage autour de moi pour savoir qui, parmi mes relations, contacts, amis et familles, s'envoient encore des mails dans le cadre familial ou amical. Mon fils de 15 ans m'a ri au nez : aucun de ses copains ne lui envoient des mails traditionnels, la honte !
De mon côté, la seule personne à qui j’envoie des mails dans le cadre familial, c’est mon père de 87 ans. Et encore : il préfère nettement dicter ses messages à son téléphone et m’envoyer des SMS. Pour tous les autres, j’utilise des outils réseaux sociaux pour rester en contact : principalement Facebook, Messenger, LinkedIn.
Bref, dans la vie privée, les mails, c'est carrément dépassé. C’était l’époque des années 2000, quand on s’envoyait des mails en mettant toute la famille et les amis en copie pour montrer quelques photos de vacances, ou pour partager des vidéos en pièce jointe, comme la vidéo « Ingénieur informaticien » qui avait fait le buzz en 2003 (si si). C’était le Jurassique Web.
Dans l’entreprise, le mail reste un totem
Autant le souvenir des mails pour blaguer avec les copains ou partager des photos de famille fait sourire, autant 40 ans après les premiers déploiements, la messagerie est toujours dans les entreprises une sorte de totem indéboulonnable, un doudou rassurant et inséparable.
Toutes celles et tous ceux qui, comme moi, accompagnent les entreprises dans la transformation des usages le vivent au quotidien : en 2025, proposer une alternative aux mails est souvent vécu comme un challenge impossible à relever, une utopie, une hérésie, pour ne pas dire un sacrilège.
Dans un séminaire d’entreprise, alors que j’expliquais que dans notre société nous n’échangions aucun mail entre collègues depuis 2016, un participant parmi la centaine de personnes présentes s'était levé de sa chaise pour m’accuser publiquement d’être un imposteur. Selon lui, il était impossible de se passer des mails entre collègues. Il a fallu que je montre illico presto ma boîte de réception quasi vide (heureusement) pour calmer l’accusateur public. Ca montre bien la tension sur ce sujet.
Même les outils les plus modernes, comme ceux de Microsoft 365 par exemple, font la part belle aux mails. Dans mon précédent article « ces notifications par mails qui plombent l’adoption de Microsoft 365 », j’évoquais ces mails automatiques envoyés par plusieurs outils. Et depuis quelques mois, quand un article est publié dans un site SharePoint, l’outil vous propose immédiatement de l’envoyer… par mail.
Et que dire également de tous les autres outils du Système d’Information qui vous bombardent de mails, tout aussi verbeux qu’inutiles. Chez un client, l’ouverture et le traitement d’un « ticket » pour une demande informatique toute bête avait généré plus d’une dizaine de mails. Pourtant, il existe de nouveaux scénarios pour gérer des notifications intelligentes et utiles avec Teams, comme je l’expliquais en 2019 dans cet article "Faites entrer les notifications au 21ième siècle".
Les inconvénients des mails
Le plus étonnant, c'est que tout le monde se plaint des mails. Et bien souvent, c’est même une des principales raisons de mes missions dans les entreprises. Pendant mes audits, j’ai rencontré des salariés au bord du burn-out. Je me souviens d’un cadre qui m’a beaucoup inquiété : à la question « quel est votre métier », sa réponse a été, les yeux dans le vide et la voix basse, « mon métier, monsieur, c’est de trier mes mails ». Carrément flippant.
Le problème de la messagerie, c’est que c’est un outil pensé dans les années 1980 pour des entreprises des années 1980 : des entreprises cloisonnées, avec peu de collaboration et d'interaction, et avec une communication uniquement descendante.
Les choses ont commencé un peu à changer avec l’avènement du « WEB 2.0 » qui s’est imposé en 2007. Le concept était révolutionnaire pour l’époque : les utilisateurs pouvaient contribuer et être acteurs dans leur entreprise via des Wikis ou les premiers blogs. SharePoint a intégré ces deux fonctionnalités dans SPS 2007 et j’en avais déployé plusieurs chez Bouygues Telecom. Non sans mal d'ailleurs, car des managers estimaient que « les collaborateurs n’étaient pas payé pour raconter leurs vacances dans des blogs » : toujours ce manque de vision qui empêche d'entrevoir les nouvelles opportunités des outils.
Les entreprises des années 1990 n’ont plus rien à voir avec celles d’aujourd’hui : les sujets se sont complexifiés, les effectifs ont fondu, le nombre d’interlocuteurs a augmenté, les besoins de réactivité et de rapidité ont explosé, la collaboration a considérablement augmenté, la compétitivité s'est exacerbée, etc. Faute d’autres solutions, cela s’est traduit par plus de mails qu'on demande de traiter plus vite.
S’ajoutent à ces mails « opérationnels », les mails de communication qui sont vus comme de la pollution mais auxquels les communicants s’accrochent. Sans oublier la cerise sur le gâteau : les mails de notification, dont je parlais précédemment.
Quoi qu’on puisse dire, la messagerie n’est pas faite pour gérer de tels flux. Tous les messages tombent dans une seule boîte de réception et tout se mélange. Alors, pour y voir clair et ne pas chercher leurs messages pendant des heures, beaucoup ont choisi de trier les mails dans les dossiers. Avant les années 2010, je passais plus d’une heure chaque jour pour trier religieusement mes mails. Mais tout le monde ne le fait pas, de sorte que chacun a une vision différente, complète ou parcellaire des échanges sur un même sujet, comme un projet par exemple. Et je ne parle même pas des documents en pièce jointe, ce qui est une hérésie documentaire complète et un gâchis en stockage monumental (sans parler de l'empreinte carbone). Ne plus avoir besoin de passer 5 à 7 heures par semaine à trier ses mails : voici un exemple concret de retour sur investissement immédiat.
Les nouveaux scénarios
Les alternatives existent et depuis longtemps. Dès 2011, chez Bouygues Telecom, nous avions déployé un Réseau Social d’Entreprise : Wooby Network. Il avait permis de créer de l’engagement au sein de Bouygues Telecom lors du lancement stratégique de la 4G en 2011 comme cela est expliqué dans ce témoignage de Sarah Alezrah. Je vous défie de faire la même chose avec les mails.
A l’époque, j’avais instauré dans mon équipe une collaboration zéro mail, uniquement en utilisant des communautés RSE (Teams n’existait pas encore). Tout membre de mon équipe qui dérogeait à la règle mettait 2 euros dans une tirelire pour payer des cafés. Tout client interne qui voulait travailler avec nous devait accepter d’utiliser une communauté projets pour collaborer avec nous : c’était ma condition pour qu’on instruise leur dossier. C'était il y a plus de douze ans.
Plus tard, en 2016 - il y a 9 ans, Microsoft Teams a débarqué dans les solutions Microsoft 365. L’outil a perfectionné le concept avec la possibilité de créer des sous thématiques avec les canaux des équipes Teams, ce qui manquait dans les communautés de RSE. La révolution.
Microsoft Teams a permis de révolutionner la manière de collaborer. Il permet de créer des « scénarios » de collaboration bien structurés, très éloignés de l’anarchie des mails. Vous pouvez découvrir des exemples de scénarios en cliquant ici : animer un projet, une vie d’équipe, l’innovation... On peut même imaginer de nouveaux scénarios de collaboration pour les managers qui sont noyés de mails, comme je l’ai décrit dans cette vidéo.
En parallèle, le Réseau Social d’Entreprise avec Viva Engage (ex-Yammer) est la solution de communication par excellence dans les entreprises. Il permet une communication bi-directionnelle capable de créer de l’engagement, sans envoyer de mails. ll permet une communication « par abonnement » sur des sujets d’intérêt, et non une communication en mode « spamming ». J’en parle dans mon livre « Réinventer la communication d’entreprise avec Microsoft 365 » et dans cette conférence.
Parfois, le mail s’impose
La messagerie n’est pas morte pour autant, mais on ne l’utilise plus pour la même chose. La messagerie reste le moyen le plus simple pour communiquer avec des interlocuteurs externes à l’entreprise. Dans mon cas personnel, la messagerie est uniquement utilisée pour mes échanges avec mes futurs clients. Mais un fois le contrat de prestation signé, nous collaborons via une équipe Teams.
Mais dire que la messagerie n'est plus utile est une erreur. Il y a des situations où la messagerie s’impose. C’est le cas par exemple lorsqu’une entreprise échange des mails contractuels avec des avocats, des fournisseurs ou des clients : la messagerie garantit que chaque interlocuteur dispose d’une copie du message, ce qui peut être utilisé devant un tribunal en cas de litige juridique. Ce n’est pas le cas d’une équipe Teams : si le propriétaire coupe les droits d'accès aux « invités externes », ces derniers perdent tout accès à l’information, messages et documents.
Si Microsoft Teams permet de créer des équipes « mixtes » qui intègrent des collaborateurs internes et externes (les invités) pour échanger sur des projets, des commandes, etc... encore faut-il que ces « invités » comprennent et maîtrisent l’outil, ce qui est rarement le cas. Il est déjà difficile de former ses propres employés, alors on imagine mal une entreprise former les employés de leurs fournisseurs ou clients... En 2019 j’avais publié cette vidéo pour aider une TPE qui avait cette ambition.
Pourquoi est-ce si difficile ??
Bref, voici plus de 15 ans que les Réseaux Sociaux d’Entreprise existent pour porter la communication, et bientôt 10 ans que Teams existe pour porter la collaboration. Et pourtant, en mai 2025, je suis toujours en train d’écrire un article sur les mails.
Qu’est-ce qui bloque ? Plusieurs choses.
1. Le manque de vision. Depuis dix ans que je suis consultant, le constant est sans appel. Seules les entreprises qui trouvent dans leur rang un(e) « visionnaire » réussissent à tirer pleinement parti de Microsoft 365 et à lâcher (plus ou moins complètement) les mails en interne. Un(e) visionnaire, c’est une personne convaincue et convaincante, au moral d’acier, résolument persévérante, qui a compris le sujet et qui réussit à en faire la promotion. Ce n’est pas forcément un(e) informaticien(ne), bien au contraire. J’en connais plusieurs, hommes et femmes dans différentes entreprises, que je vous présenterai prochainement.
2. Le manque d'implication des dirigeants. Si j’ai écrit un livre (cliquer) pour les dirigeants et décideurs, c’est pour une bonne raison : aucune transformation ne peut se faire sans eux, et abandonner le mail au profit d’outils comme Teams ou Engage, c’est une sacrée transformation. Au mieux, sans leur sponsoring, « ça ne crante pas » (l’adoption ne réussit pas), au pire, des directions (RH, Communication, …) font barrage et bloquent l’adoption de ces outils par différentes manoeuvres. Il est capital que les dirigeants mesurent les enjeux de ce sujet sur l’activité de l’entreprise et ce livre peut les y aider.
3. Le classique frein au changement. Le frein au changement est un phénomène bien connu. Sur ce sujet, le frein est bloqué jusqu’au dernier cran. Et c’est un peu normal, car la messagerie est utilisé depuis plus de 40 ans. Pour preuve, quand un nouveau collaborateur est embauché, on ne lui demande pas s’il sait utiliser une messagerie tellement on pense que c'est intégré dans l'ADN. D’ailleurs c’est un tord car je croise beaucoup de salariés qui utilisent très mal la messagerie et son calendrier. De la même manière que les secrétaires des années 1980 ont eu du mal à lâcher leurs machines à écrire à l’époque de la grande « informatisation des entreprises » (lire mon article sur ce sujet), les employés et leurs managers d’aujourd’hui ont beaucoup de mal à lâcher leur messagerie.
4. L’absence de formation et de maîtrise de l’outil. Je suis toujours amusé de voir des collaborateurs paniqués à l’idée de devoir gérer 4 malheureuses équipes Teams, alors que dans le même temps, ils reçoivent pèle mêle des centaines de mails dans l’anarchie la plus totale. La raison est simple : l’absence quasi totale de formation. Rares sont les utilisateurs qui connaissent les fonctionnalités de Teams qui permettent de maîtriser les flux de messages, beaucoup plus efficacement qu’avec la messagerie : gérer les équipes, canaux, les mentions, filtrages, activités, recherches, …. J’ai donné quelques pistes dans cette vidéo un peu ancienne que je vais prochainement rafraîchir.
5. L’absence de gouvernance, de stratégie collective et de structuration. Dans une grande majorité des cas, Teams a été « lâché dans la nature » pendant la période du Covid, sans accompagnement ni formation, et surtout sans aucun cadrage. Ce n’est pas les utilisateurs, qui ne connaissent rien à Teams, qui réussiront à structurer correctement des équipes et leurs canaux, à définir des scénarios structurés et une stratégie collaborative collective : c’est à l’entreprise de le faire.
A défaut de tout cadrage, utiliser Teams plutôt que le mail devient utopique, car autant l’utilisation du mail est une démarche individuelle, autant l’utilisation de Teams est une démarche résolument collective.
C’est ce que j’explique dans cet article « Accompagner, ce n’est pas que former ». J'en parle aussi en détail dans ce livre blanc (gratuit) : "L'ingénierie de la collaboration" que je vous recommande chaudement.
Conclusion
Cet article entièrement consacré au mail dans les entreprises ne sera certainement pas le dernier. Déjà dans les années 1980, le déploiement des premières messageries ne s'était pas déroulé sans mal : beaucoup n'ont pas immédiatement compris l'intérêt d'une messagerie électronique et la maîtrise de l'ordinateur était un frein important, comme je le raconte dans cet article.
Aujourd'hui, les entreprises se gargarisent d'intelligence artificielle et rêvent de solutions innovantes sans avoir conscience qu'elles sont restées bloquées dans les années 1990 en matière de collaboration, de communication, de partage et de stockage des fichiers. Elles n'ont pas monté les marches de l'innovation, comme je l'explique dans cet article "Microsoft 365 : attention à la marche".
Réussir à s'affranchir du mail pour gagner en efficacité et en agilité dans la collaboration et la communication nécessite à minima une prise de conscience au sein de l'entreprise, au mieux une ambition et un accompagnement qui va au delà de la seule formation.
Un audit de collaboration facilite cette prise de conscience. L'audit permet d'identifier les problèmes internes de collaboration et de communication internes avec le mail et de découvrir de nouveaux scénarios avec les outils de Microsoft 365 qui permettent de les résoudre.
En tant qu'ancien auditeur interne du Groupe Bouygues, je réalise régulièrement ce type d'audit et si vous voulez explorer les opportunités d'une collaboration interne moderne je serai ravi de vous aider à vous faire découvrir les nouveaux scénarios de collaboration.
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