- Christophe COUPEZ
La mutation de la Direction de la Communication interne
De 2000 à 2015, j’ai travaillé au sein de Bouygues Telecom comme maîtrise d’œuvre de la Direction de la Communication interne, responsable du Pôle Intranet à la DSI. A ce titre, j’ai souvent publié sur la mutation de ce métier que j’ai pu observer au fil des transformations numériques.
Dans ce billet, je souhaitais revenir plus précisément sur l’évolution de la Direction de la communication interne au fil des années, en faisant ressortir les trois époques principales de la vie de l’Intranet de Bouygues Telecom.
Epoque 1 – l’intranet global
L’intranet de Bouygues Telecom est né en 1999 ; je suis arrivé l’année suivante, en 2000. A cette époque, tout était à inventer.
Le déploiement d’un intranet a constitué pour les professionnels de la communication interne un choc important qui les a obligés à se réinventer complètement. Qui aujourd’hui imaginerait une « com interne » de grande entreprise sans un Intranet ? L’arrivée des Réseaux Sociaux d’Entreprise a été un second virage à négocier dix ans plus tard ; on en reparle après.
Au début de cette ère nouvelle, le terme « d’intranet » était large, très large, trop large.Sur un plan purement sémantique, « intranet » désigne tout site Web déployé sur le réseau interne de l’entreprise. Et comme à ce moment il n’y avait dans l’entreprise qu’un seul et unique site intranet (celui de la Com interne), c’est donc tout naturellement que la Direction de la Communication interne s’est positionnée comme garante de la maîtrise de l’intranet (au sens large, pour toute l'entreprise, toutes directions confondues).

Mais rapidement, les autres directions ont bien compris la puissance de cette technologie. Des initiatives de sites Intranet sont alors apparues dans différentes directions, cette fois-ci pour des besoins métier. Il s’agissait d’outils (reposant sur des technologies Web), ou des sites Intranet de communication METIER (s’adressant aux collaborateurs d’un métier donné, pour des informations et des données purement métier).
Je me souviens très bien des grandes discussions suscitées par l’émergence de ces sites Intranet que nous appelions « sites pirates ». Ces initiatives ont tout de suite été identifiées comme des «concurrents » à « l’intranet officiel », qu’il fallait rapidement et fermement contrôler.
Avec le recul, la « concurrence » ne se jouait en fait que sur les mots ; certes, tous ces outils s’appelaient « intranet », mais ils n'avaient rien de commun entre eux et ne se faisaient en fait aucune concurrence. Chacun avait sa propre fonction, son propre public, sa propre mission. Autrement dit, aucun de ces « intranet pirate » n’avait l’ambition de faire de la communication Corporate à la place de la Com interne.
Progressivement, pour tenter de contrôler / limiter / bloquer, il a été décidé d’imposer à toute direction ayant un besoin « intranet » métier, une politique stricte. Cette politique passait par des règles ergonomiques et graphiques strictes, par une ingérence de la « com interne » dans les projets Intranet des directions (participation au projet), et par une obligatoire intégration (fonctionnelle ET technique) dans un socle unique : l’intranet central de l’entreprise.
Pendant les premières années d’existence de l’intranet de l’entreprise, les métiers souhaitant mettre en place un site intranet, devaient donc prendre en compte toutes les contraintes imposées, solliciter la (toute petite) équipe de « la com interne » (ce qui ralentissait considérablement les projets, par manque de disponibilité) et entrer leur besoin au chausse pied dans un intranet global unique qui ne convenait finalement à personne.
Le but officiel affiché à l’origine était d’afficher une cohérence globale aux yeux des collaborateurs, pour faciliter la lecture des collaborateurs et donner une image Corporate à l’ensemble. En 2002, les premiers effets négatifs se sont faits ressentir. A force d’intégrer les besoins métiers dans un site Intranet unique de communication, le système s’est paralysé de lui-même :
la petite équipe de la communication interne ne pouvait matériellement répondre à toutes les sollicitations des directions qui se présentaient avec leur besoin
l’intranet central était devenu impossible à faire évoluer (parce qu’il fallait faire évoluer en même temps tous les intranet métier qu’il englobait)
les intranets métier englobés ne pouvaient pas évoluer (parce que ça aurait nécessité de faire évoluer l'intranet central - et on reboucle avec le point précédent)
les métiers ne pouvaient pas apporter de réponse à leurs spécificités métier, parce qu’ils débordaient du cadre imposé à tous (car par définition, une solution unique pour tous ne convient finalement à personne)
Il fallait donc faire autrement.
Epoque 2 – l’intranet de productivité
En 2003, une nouvelle orientation a été décidée. Elle reposait sur plusieurs fondements.
Le premier fondement, c’était de rendre leur autonomie aux métiers car le modèle « centralisé » avait explosé en vol. Dès lors, des intranet métier « autonomes » ont vu le jour, souvent sur un socle SharePoint. Ce fut le cas par exemple pour les deux directions commerciales « grand compte » et « entreprise ».
Ces intranets vivaient désormais « en dehors de l’intranet de la direction de la communication », sur un plan fonctionnel et technique. Chacun arborait sa propre charte graphique pour respecter leur propre identité, moyennant le respect de quelques tendances de couleur.
Au final, la Communication interne s’était rendu compte que cette séparation ne posait pas de problème particulier en termes de communication d’entreprise pure, car les actualités échangées et publiées dans ces intranets métier s’adressent exclusivement aux seuls professionnels de ces métiers.
En effet, trop précises, trop techniques, parfois confidentielles, ces actualités purement opérationnelles n’ont aucun intérêt pour les collaborateurs des autres métiers. Par contre, elles ont un intérêt stratégique crucial pour le métier, en termes de performance et d’efficacité (information sur l’évolution d’un processus métier, etc).
De façon générale, les collaborateurs de toute l’entreprise n’ont besoin, pour suivre la vie de leur société, que d’actualités macro prémachées par les métiers (réécrites de manière simples) et choisies pour leur pertinence. Mais c’est un autre canal, un autre type de communication, qui rejoint cette fois-ci le giron de la Communication interne au sens vrai.
Le second fondement de cette mutation de l’intranet a été de mettre en place une solution utile pour les collaborateurs. L’objectif était triple : rendre service aux collaborateurs en leur facilitant la vie, leur apporter des gains de productivité, mais aussi redonner un intérêt aux collaborateurs à se connecter sur l’intranet de la Direction de la communication. Car toutes les Directions de la communication recherchent de bonnes statistiques de visite, et souhaitent garantir une bonne information uniforme des collaborateurs. Pour permettre cela, l’Intranet est donc devenu un véritable « portail ». Le nouvel objectif n’était plus de « contraindre » l’utilisateur à passer par l’intranet Corporate par des artifices au détriment de l’efficacité des autres directions, mais de lui fournir les services qui allaient faire en sorte qu’il y aille de lui-même, tout simplement parce que l’Intranet lui rend service, au sens propre.
Tout a été pensé, conçu pour rediriger au mieux l’utilisateur vers la bonne ressource (outil, site), vers la bonne réponse, notamment au travers d’un moteur de recherche géré, animé, configuré quotidiennement et finement par la Direction de la Communication interne. Le portail est ainsi redevenu une place obligée pour trouver les bons outils et les bonnes réponses.
Ce portail global intégrait également des fonctionnalités d’agrégation de contenus, permettant à l’utilisateur de se créer au sein même de l’intranet de l’entreprise, des pages regroupant des zones affichant des informations provenant de différentes sources (outils métier, sites SharePoint, …). Certains utilisateurs (moi en l’occurrence) avaient donc constamment leur intranet ouvert pour surveiller certains indicateurs affichés dans des « Widgets » de données.

Libéré des aspects métier purs pour lesquels finalement elle n’avait finalement pas les compétences pour apporter les bonnes réponses, la Direction de la Communication interne a pu alors se recentrer sur son cœur de métier : à savoir la « vraie » communication interne, communication Corporate officielle et communication métier transverse « pré-machée » pouvant intéresser toute l’entreprise.
Une nouvelle mission s’est ajoutée : celle de faire de l’intranet l’outil de productivité de l’entreprise. La Direction Commerciale s’est transformée en « facilitateur d’accès » aux sites et outils qui ont éclos un peu partout (par exemple par la gestion fine du moteur de recherche).
Autrement dit, la posture de la Direction de la Communication interne a évolué complètement en termes de positionnement au sein de l'entreprise vis à vis des utilisateurs, et de l'apport qu'elle peut apporter à l'efficacité de l'entreprise ;
dans les premières années, la Direction de la Communication se contentait d'être « gardienne du temple Intranet », avec peu de plus-value opérationnelle pour l’entreprise, et beaucoup de conflits. Bien au contraire, les freins imposés aux directions pour atteindre ses propres objectifs gênaient la recherche d’efficacité opérationnelle des métiers. Cette position "stérilisait" toute démarche d'innovation d'une direction qui avait des idées de "travailler autrement" qui pouvaient profiter aux autres directions
au contraire, dans cette nouvelle posture, la Direction de la Communication interne se positionnait comme pourvoyeuse de solution d’efficacité, avec des gains opérationnels quantifiables.
Cette mission a permis notamment de rendre visible aux collaborateurs des outils très pratiques mais inconnus car introuvables / peu visibles auparavant par l’intranet officiel de l’entreprise.
En parallèle, dès 2005, une version « mobile » de l’intranet a vu le jour, sur les téléphones i-mode de l’époque. Une première en France qui nous avait valu un prix CEGOS entreprise et carrière en 2005.
Epoque 3 – l’intranet collaboratif & social
Bouygues Telecom a été l’une des sociétés précurseurs en matière de Réseau Social d’Entreprise, en déployant sa première version de RSE en 2011 sous l’impulsion de son directeur de l’innovation de l’époque, Yves CASEAU, avec l'appui de Guillaume FOLTRAN.
Cette solution reposait sur une solution SharePoint et Newsgator. Bouygues Telecom avait été le premier client européen de cet éditeur devenu plus tard SITRION.
A cette époque, personne ne savait trop comment intégrer un Réseau Social d’Entreprise. Les seules publications disponibles étaient à charge (« les DSI se font plaisir », …). Il a fallu « inventer la vie qui va avec » (lire mon billet), développer des cas d’usage, sensibiliser, évangéliser (lire mon billet sur cet aspect de ma mission).
Juste avant, vers 2009, nous avions déployé un « Youtube » interne ; un site Web permettant à tout collaborateur de Bouygues Telecom de pouvoir poster une vidéo, quelle qu’elle soit. Aucune validation en amont, juste des contrôles à posteriori. L’outil a généré des cas d’usage très intéressants pour toute l’entreprise : des tutoriels vidéos produits par des équipes, des films internes pour expliquer les métiers, etc. Ces innovations se sont intégrées dans le cadre plus général de la refonte complète de l'éco-système intranet de Bouygues Telecom, qui nous a valu en 2011 une des dix places mondiales au Prix Nielsen Norman Group (cliquer ici). En 2013, c'est le Prix Cegos que nos équipes MOA et MOE Intranet remportaient conjointement, pour la solution mobile mise en place sur Smartphone et tablette, donnant un accès en mobilité total à tout l'intranet, aux vidéos, au RSE et même aux documents SharePoint : cliquer ici

La nouvelle transformation de la Direction de la Communication interne a donc été de savoir comment intégrer cette dimension sociale et collaborative au cœur même de l’intranet et comment l’exploiter.
Rapidement, la Direction de la Communication interne a identifié la puissance du Réseau Social pour animer la communication de l’entreprise. Les grands évènements ont vite été animés par des « communautés » d’échange au sein du RSE. Ce fut le cas par exemple pour le lancement de la 4G, où le RSE a été mis à contribution pour fédérer tous les collaborateurs autour de ce grand challenge. Les publications dans l’intranet ont vite été relayées dans le Réseau Social d’Entreprise.
C’est en 2016 que l’intranet de Bouygues Telecom a apporté la solution de l’intégration du Réseau Social d’Entreprise, en intégrant « le mur » du RSE au cœur même de la page d’accueil de l’Intranet, en lieu et place de la page d’accueil du Réseau Social d’Entreprise.
Un dossier complet sur le nouveau intranet est disponible en cliquant ici.

Le nouvel interne ne se contente pas d’afficher le mur : il porte la stratégie digitale de l’entreprise, en facilitant par exemple la création d’espaces digitaux directement depuis la home, pour créer des sites SharePoint ou des communautés de travail.
Cette solution est le graal de toutes les Directions de Communication interne, qui cherchent LA solution qui feront de leur page d’accueil un passage obligé et utile. En l’occurrence, dans ce cas présent, le nouvel intranet devient la porte d’entrée du Réseau Social d’Entreprise (outil de travail d’une partie des collaborateurs) et s’impose comme un outil d’information et de travail.
En conclusion
Je suis convaincu que l’étude du passé apporte des réponses aux questions du présent. L’évolution du métier de la Communication interne que je viens de dérouler sur 15 ans montre qu’il y a des transformations régulières à négocier au sein des Directions de la Communication interne : en termes de positionnement, en termes de postures, en termes d’usages, en termes d’outils. La Direction de la Communication interne de Bouygues Telecom a su les faire.
Cette évolution, cette transformation ne peut pas se faire seule. La Direction de la Communication Interne doit pouvoir compter sur une équipe côté DSI partenaire et solidaire. Les deux doivent avancer de concert, en mode agile, en parfaite confiance, à part égale pour trouver les meilleures solutions, fonctionnelles, ergonomiques et techniques. C'est la condition de la réussite.